5.
L’aggravation
— Bonjour Vagabonde ! Prenez donc une chaise, mettez-vous à votre aise !
J’hésitais sur le seuil de la porte, un pied dedans, un pied dehors.
La Tutrice a souri – un infime mouvement à la commissure des lèvres. Je décryptais beaucoup mieux les expressions de visage à présent. La détente et la crispation des petits muscles formaient désormais un langage familier pour moi. À l’évidence, mon hésitation l’amusait. Et en même temps, elle était agacée par ma réticence à lui rendre visite.
Avec un soupir résigné, je suis entrée dans la petite pièce colorée et me suis assise à ma place habituelle. Le fauteuil rouge, celui le plus loin d’elle.
Ses lèvres se sont pincées.
Pour éviter son regard, j’ai contemplé les nuages qui traversaient le ciel, par-delà la fenêtre ouverte. L’odeur iodée de l’océan imprégnait l’air.
— Alors, Vagabonde ? Cela fait longtemps que vous n’êtes pas passée me voir.
Je l’ai regardée, pleine de culpabilité.
— J’ai laissé un message pour le dernier rendez-vous. Un étudiant m’a retenue.
— Oui, je sais. (Elle a eu de nouveau son petit sourire.) J’ai eu votre message.
Elle était belle pour une femme de son âge. Elle laissait ses cheveux grisonner naturellement – ils étaient soyeux, tirant davantage vers le blanc que vers l’argent ; elle les portait longs, ramenés en arrière par une petite queue-de-cheval. Ses yeux étaient d’un vert fascinant. Jamais je n’avais vu pareils iris chez un humain.
— Je suis désolée, ai-je dit pour la forme. (Puisque c’est ce qu’elle semblait attendre de moi.)
— Aucune importance. Je comprends. C’est difficile pour vous de venir ici. Vous préféreriez, évidemment, que ce ne soit pas nécessaire. C’est la première fois que vous rencontrez des problèmes. Et cela vous effraie.
J’ai baissé la tête.
— Oui, Tutrice.
— Je vous ai déjà dit de m’appeler Kathy.
— Oui… Kathy.
Elle a lâché un petit rire.
— Vous n’êtes toujours pas à l’aise avec les prénoms humains, n’est-ce pas, Vagabonde ?
— C’est vrai. Pour moi, c’est comme une abdication.
J’ai relevé les yeux ; elle acquiesçait lentement.
— Je comprends… en particulier dans votre cas.
J’ai dégluti bruyamment et baissé de nouveau la tête.
— Abordons d’abord un sujet moins douloureux, a proposé Kathy. Vous êtes toujours satisfaite de votre Emploi ?
— Oui. (C’était effectivement un sujet plus facile.) J’ai entamé un nouveau semestre. Je craignais de me lasser. Répéter les mêmes histoires. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Avoir un nouvel auditoire, ça change tout.
— Curt dit beaucoup de bien de vous. Vos cours sont parmi les plus populaires de l’université.
Mes joues se sont empourprées.
— Ça fait toujours plaisir à entendre. Comment se porte votre compagnon ?
— Très bien, merci. Nos hôtes sont en très bonne forme pour leur âge. Nous avons, je pense, encore beaucoup de belles années devant nous.
Je me demandais si elle allait rester sur ce monde, si elle allait habiter un autre hôte humain quand l’heure viendrait, ou décider de partir. Mais je ne voulais pas poser de questions – cela risquait de nous entraîner vers des sujets délicats.
— J’adore enseigner, ai-je préféré dire. Ce n’est pas si loin, d’ailleurs, de mon Emploi quand j’étais Herbe-qui-voit ; je suis donc moins dépaysée. C’est vraiment gentil à Curt de m’avoir embauchée.
— Ils sont heureux de vous avoir. (Kathy a souri avec chaleur.) Vous ne savez pas à quel point il est difficile d’avoir un professeur d’Histoire des Mondes ayant vécu ne serait-ce que sur deux planètes ! Or vous, vous avez accompli un cycle pratiquement sur toutes ! Sans parler de votre séjour sur Origine ! Toutes les universités de cette planète rêvent de vous débaucher. Curt prévoit de vous submerger de travail pour que vous n’ayez pas le temps d’aller voir ailleurs.
— Je ne suis professeur qu’à titre honorifique.
Kathy a esquissé un sourire puis a pris une profonde inspiration avant de parler :
— Cela fait si longtemps que vous n’êtes pas venue me voir… J’espérais que, peut-être, vos problèmes s’étaient résolus d’eux-mêmes. Et puis je me suis dit, au contraire, qu’ils avaient sans doute empiré et que c’était là la raison de votre absence.
J’ai regardé mes mains fixement sans rien dire.
Elles étaient marron clair – un bronzage qui ne partirait pas, que je passe ma vie à l’ombre ou au soleil. J’avais un grain de beauté à la naissance du poignet gauche. Mes ongles étaient coupés court. Je n’aimais pas les avoir longs. Je me griffais trop souvent. Et j’avais déjà de grands doigts tout fins ; avec un centimètre d’ongles en plus, ils paraissaient carrément bizarres. Même pour une femme.
Devant mon silence, la Tutrice s’est éclairci la gorge.
— J’en déduis que j’ai vu juste…
— Kathy…, ai-je articulé lentement pour gagner du temps. Pourquoi avez-vous gardé votre prénom humain ? Est-ce pour vous sentir plus… unie ? Avec votre hôte, j’entends… Pour ne faire qu’un avec lui ?
J’aurais bien voulu connaître également les raisons qui avaient incité Curt à faire ce même choix, mais il aurait été impoli de poser la question à Kathy, sa compagne. C’était une décision personnelle, intime, que seul l’intéressé pouvait expliquer.
— Pour ne faire qu’un avec lui ? Dieu du Ciel, bien sûr que non ! a-t-elle répondu en riant. Je ne vous ai pas raconté ? Peut-être pas au fond. Après tout, mon boulot, c’est d’écouter, pas de parler de moi ! Vous savez que je suis arrivée sur Terre avec la première vague, avant que les Hommes ne se doutent de notre présence ? J’avais des voisins humains de tous les côtés. Curt et moi avons dû nous faire passer pour nos hôtes pendant plusieurs années. Même après que les nôtres s’étaient bien implantés dans le quartier, on pouvait toujours croiser un humain par hasard. Alors j’ai gardé « Kathy » par sécurité. En outre, la traduction de mon ancien nom comptait quatorze mots et ne pouvait guère être raccourci.
Elle m’a adressé un grand sourire. Le soleil, filtrant par la fenêtre, a frappé ses yeux ; des reflets émeraude se sont mis à danser sur le mur. L’espace d’un instant, ses deux iris sont devenus iridescents.
J’ignorais que cette femme douce et réservée s’était trouvée en première ligne. Il m’a fallu plusieurs minutes pour me faire à cette idée. Je l’ai observée avec un respect nouveau. Je n’avais jamais pris les Tuteurs très au sérieux – n’ayant jamais eu besoin d’eux auparavant. Ils étaient là pour les inadaptés, les faibles, et j’avais honte de me trouver ici. Maintenant que je connaissais cette facette de son passé, je me sentais moins gênée. Elle aussi avait relevé des défis.
— Comment le viviez-vous ? ai-je demandé. Vous faire passer pour l’un d’entre eux… c’était ennuyeux ?
— Non, pas vraiment. J’avais tant à faire avec cet hôte, tout était si nouveau. Cette profusion sensorielle. Au début, me couler dans le moule était déjà un exploit pour moi !
— Et Curt… vous avez choisi de rester avec l’époux de votre hôte ? Même après que tout était fini ?
Cette question était plus délicate ; Kathy l’a compris aussitôt. Elle a remué sur son siège, replié les jambes et fixé du regard un point au-dessus de ma tête.
— Oui. J’ai choisi Curt. Et il m’a choisie. Au début, bien sûr, c’était un hasard, le jeu aléatoire des affectations. Passer tant de temps ensemble, partager tous les dangers inhérents à notre mission, ça rapproche, forcément… En sa qualité de président d’université, Curt avait de nombreux contacts. Notre maison est devenue, tout naturellement, un centre d’insertion. On recevait beaucoup. Les humains venaient dîner chez nous, et c’étaient les nôtres qui repartaient. On devait agir vite, discrètement – vous connaissez la violence potentielle de ces hôtes. On pouvait mourir d’un jour à l’autre. C’était très excitant et terrifiant aussi parfois.
« Tout ça pourrait amplement justifier pourquoi Curt et moi avons décidé de rester unis alors que la clandestinité n’était plus nécessaire. Je pourrais vous mentir, pour vous rassurer… vous dire que c’est là la seule raison, mais…
Elle a secoué la tête, s’est raidie dans son siège, a rivé ses yeux sur les miens.
— En tous ces millénaires, les humains n’ont jamais pu définir l’amour. Quelle est la part physique ? Quelle est la part mentale ? Est-ce le fruit du hasard ou du destin ? Pourquoi des unions parfaites sur le papier s’écroulent-elles ? Pourquoi des couples improbables résistent-ils à tout ? Je ne connais pas plus les réponses qu’eux. L’amour est là ou pas, c’est tout. Mon hôte aimait l’hôte de Curt et cet amour n’était pas mort, même lorsque le cerveau a changé de propriétaire.
Son front s’est plissé quand elle m’a vue m’enfoncer dans mon siège.
— Melanie pleure encore Jared, a-t-elle deviné.
J’ai senti ma tête hocher toute seule.
— Et vous aussi.
J’ai fermé les yeux.
— Les rêves continuent ?
— Toutes les nuits, ai-je avoué.
— Racontez-moi. (Sa voix était douce, pleine de persuasion.)
— Je n’aime pas y penser.
— Je sais. Essayez quand même. Ça peut être bénéfique.
— Je ne vois pas comment. En quoi ça peut m’aider de vous dire que je vois son visage à chaque fois que je ferme les yeux ? Que je me réveille en larmes parce qu’il n’est pas là ? Que ses souvenirs à elle sont si forts que je ne peux plus les dissocier des miens ?
Je me suis interrompue et j’ai serré les dents.
Kathy a sorti un mouchoir blanc de sa poche et me l’a tendu. Voyant que je ne bougeais pas, elle s’est levée et l’a déposé sur mes genoux. Elle s’est assise sur mon accoudoir et a attendu.
Je suis restée figée pendant une demi-minute. Puis j’ai ramassé le carré de tissu et me suis séché les yeux avec aigreur.
— Je déteste me voir comme ça.
— Tout le monde pleure la première année. Ces émotions sont si fortes. On est tous comme des enfants au début, que nous le voulions ou non. Les larmes me viennent à chaque fois que je vois un joli coucher de soleil. Ou parfois quand je mange une tartine au beurre de cacahuètes.
Elle m’a tapoté le sommet du crâne, puis elle a passé ses doigts dans la mèche que je coinçais toujours derrière mon oreille.
— Vous avez de si jolis cheveux. Chaque fois que je vous vois, ils sont plus courts. Pourquoi ne les gardez-vous pas longs ?
Vu que je pleurais comme une Madeleine, je n’étais plus à une humiliation près. Je n’avais plus envie de cacher encore la vérité. Après tout, j’étais venue pour me confesser et pour chercher de l’aide – autant jouer le jeu.
— Parce que ça l’embête, elle ! Elle aime les avoir longs.
Kathy est restée impassible, comme je m’y attendais. Une vrai pro. Sa réponse est venue juste un peu tard, un peu bredouillante :
— Elle est donc encore aussi présente ?
La terrible vérité est sortie de ma bouche :
— Seulement quand elle le décide. Mes cours d’histoire l’ennuient. Elle est en sommeil quand je travaille. Mais elle est bel et bien là. Parfois, elle est aussi présente que moi…
J’avais prononcé les derniers mots dans un murmure, tant j’avais honte.
— Vagabonde ! s’est exclamée Kathy, horrifiée. Pourquoi ne m’avez-vous pas dit que cela allait si mal ? Depuis combien de temps endurez-vous cela ?
— C’est de pire en pire. Au lieu de s’effacer, elle devient de plus en plus forte. Mais ce n’est pas aussi grave que le cas que m’a raconté le Soigneur – ce Kevin, vous vous souvenez ? Elle n’a pas pris le contrôle. Ça n’arrivera pas. Je ne la laisserai pas faire !
Ma voix était montée d’un ton.
— Bien sûr que cela n’arrivera pas, m’a-t-elle assuré. Bien sûr. Mais vous auriez dû me dire plus tôt que vous alliez aussi mal. Il faut aller voir un Soigneur.
Il m’a fallu un moment pour comprendre le sens de ces mots, tant j’étais submergée par l’émotion.
— Un Soigneur ? Non, je ne suis pas un pois sauteur !
— Personne ne porterait un jugement pareil, Vagabonde. Il est normal, lorsqu’un hôte est défectueux, que l’on…
— Défectueux ? Elle n’est pas défectueuse. C’est moi qui le suis. Je suis trop faible pour ce monde !
Je me suis caché la tête dans les mains, me sentant si misérable. De nouvelles larmes m’ont inondée.
Kathy a passé le bras autour de mes épaules. J’étais tellement occupée à lutter contre le déferlement d’émotions que je ne l’ai pas repoussée, même si ce contact me dérangeait.
Melanie non plus n’appréciait pas. Elle n’aimait pas qu’un alien la touche.
Car Melanie était très présente, et particulièrement arrogante maintenant que j’avais reconnu son emprise. Elle exultait. J’avais toujours du mal à la maîtriser quand les émotions me submergeaient.
J’ai tenté de retrouver mon calme ; je devais la remettre à sa place.
C’est toi qui es à ma place ! La pensée était faible, mais intelligible. C’était de pire en pire ; elle pouvait désormais me parler quand elle le voulait. Comme au tout premier instant où j’avais repris conscience.
Va-t’en, c’est chez moi maintenant !
Jamais !
— Allons, Vagabonde… Vous n’êtes pas faible et vous le savez très bien.
— Pfff !
— Écoutez-moi. Vous êtes forte. Forte comme un chêne. Notre espèce est très uniforme, mais vous, vous êtes au-dessus de la norme. Votre courage est étonnant. Vos existences en témoignent.
— Dans mes vies passées peut-être, mais pas dans celle-là. Je ne suis qu’une brindille à présent.
— Il se trouve que les humains sont plus individualisés que nous. Il y en a de toutes sortes, et certains sont beaucoup plus robustes que d’autres. Sincèrement, je crois que Melanie aurait écrasé n’importe quelle autre âme que vous en quelques jours. C’est peut-être un hasard, peut-être le destin… mais j’ai l’impression que le plus fort d’entre nous a été inséré dans le plus fort d’entre eux.
— Ça en dit long sur nos chances…
— Elle ne va pas gagner, Vagabonde. Cette charmante personne que j’ai devant moi, c’est vous. Et vous seule. Elle n’est qu’une ombre dans un recoin de votre esprit.
— Elle me parle, Kathy. Elle a encore ses pensées propres. Et ses secrets.
— Mais elle ne parle pas à votre place, n’est-ce pas ? Votre résistance est exceptionnelle.
Je n’ai pas répondu. J’étais trop abattue, trop triste.
— Il faudrait peut-être envisager une réimplantation…
— Kathy, vous avez dit qu’elle écraserait une âme autre que moi. Je ne sais pas si c’est la vérité… Vous avez peut-être dit ça pour me réconforter, en bonne professionnelle que vous êtes. Mais une chose est certaine : elle est réellement très forte… Ce ne serait pas bien de la confier à quelqu’un d’autre parce que je ne parviens pas à la dompter. À qui feriez-vous ce cadeau empoisonné ?
— Je ne cherchais pas à vous flatter ; vous êtes effectivement la plus qualifiée pour cette mission.
— Alors, vous voulez dire que…
— Exactement. Je ne pense pas que cet hôte puisse être réutilisé.
— Oh…
Un frisson d’horreur a parcouru ma colonne. Et je n’étais pas la seule à frémir à cette idée.
Une onde de dégoût m’a envahie. J’étais une âme fidèle. Au cours des longues révolutions autour des soleils de mon ancienne planète – le Monde des Herbes-qui-Voient, comme on l’appelait ici – je n’avais pas bougé. Même si le fait d’être enracinée dans le sol m’a pesé bien plus tôt que je ne m’y attendais, même si la vie des Herbes se mesurait en siècles et non en années, je n’ai pas abandonné mon hôte avant son terme. Ç’eût été du gâchis, une lâcheté, une infamie. C’était renier l’essence même de ce que nous sommes. Nous rendons meilleurs les mondes que nous occupons ; c’est notre mission, notre raison d’être, sinon nous ne méritons pas d’y vivre.
Nous ne sommes pas des profiteurs. Tout ce que nous prenons, nous le bonifions ; les mondes avec nous sont en paix, en harmonie, embellis. Les humains étaient des brutes. Durant les quelques millénaires de leur règne, ils ont mis au point une profusion écœurante de modes de torture ; je n’avais pas été capable de lire jusqu’au bout les rapports officiels pourtant cliniques et sans pathos. Les guerres avaient ravagé quasiment tous les continents. Ceux qui vivaient dans les nations en paix détournaient pudiquement la tête pour ne pas voir la misère par-delà leurs frontières. Il n’y avait pas d’équité dans la distribution des biens et des richesses. L’avidité humaine avait mis en péril tout l’écosystème de la planète. La violence et le meurtre faisaient partie de la vie quotidienne. Plus inconcevable encore, leurs enfants – la nouvelle génération que les miens vénéraient pour leur potentiel immaculé – pouvaient être victimes de sévices, perpétrés parfois par leur propre géniteurs. Depuis notre arrivée, la différence est criante. Tout le monde doit admettre que la Terre se porte mieux, grâce à nous.
Vous avez massacré toute une espèce et vous vous congratulez !
Mes poings se sont crispés.
Je pourrais me débarrasser de ton corps, lui ai-je rappelé.
Vas-y. Ce ne sera que l’officialisation de mon meurtre !
Je bluffais. Mais Melanie aussi.
Certes, elle avait voulu mettre fin à ses jours. Elle s’était jetée dans le puits de l’ascenseur. Mais c’était dans un accès de panique, parce qu’elle se savait perdue. Décider de mourir quand on était au calme, confortablement assis sur un siège, était une autre paire de manches ! Je sentais l’influx d’adrénaline – généré par sa peur – inonder mes membres au moment où je concevais l’idée de changer d’hôte.
Ce serait tellement bon d’être seule de nouveau aux commandes ! Avoir un esprit pour moi exclusivement. Ce monde était agréable en bien des aspects ; c’était tentant de pouvoir l’apprécier sans être constamment dérangée par une conscience revêche qui n’avait rien à faire là.
Melanie s’est agitée (métaphoriquement parlant) dans les profondeurs de mon cerveau alors que je tentais d’analyser la situation rationnellement. Peut-être valait-il mieux jeter l’éponge et…
Mais cette pensée m’a fait tressaillir. Moi, Vagabonde, abandonner ? Déménager ? Reconnaître mon échec, et faire un nouvel essai avec un hôte plus faible qui ne me donnerait aucun fil à retordre ?
J’ai secoué la tête. C’était inconcevable. Formuler cette simple pensée m’était douloureux.
Et puis… c’était mon corps. J’y étais habituée. J’aimais la façon dont les muscles bougeaient sur les os, la souplesse des articulations, la traction des tendons. Je connaissais son image dans le miroir. Cette peau ambrée, ces pommettes saillantes, cette coiffe lustrée de cheveux, ces yeux noisette avec leurs reflets verts – tout ça, c’était moi.
C’est moi que je voulais ! Personne d’autre. Pas question que l’on détruise ce qui était mien.